# 9 / 2016
30.09.2016

Réforme de l’imposition des entreprises III: une boîte à outils pour les cantons

Mesures fiscales

La réforme a pour point de départ l’abolition des régimes spéciaux cantonaux en vigueur qui ont essuyés des critiques parce qu’ils traitent différemment les revenus réalisés en Suisse et à l’étranger (pratique du ring fencing). À l’avenir, toute entreprise devra être imposée selon des principes identiques.

La donne étant très différente selon le canton, il n’existe pas de solution de remplacement universelle. Ainsi, une approche flexible a été choisie. La réforme prévoit d’une part la possibilité pour les cantons d’appliquer de nouveaux instruments fiscaux spéciaux qui ne sont pas controversés à l’international. D’autre part, les cantons ont la possibilité d’abaisser leurs taux d’imposition du bénéfice à un niveau internationalement compétitif et peuvent compter sur une aide financière de la Confédération dans ce dessein. L’objectif n’est pas de réduire les impôts des entreprises actives à l’international, mais plutôt d’éviter de fortes hausses des impôts à la suite de l’abolition des régimes fiscaux spéciaux actuels. Il s’agit donc de remplacer des instruments et non de baisser les impôts.

Il appartient principalement aux cantons de mettre en œuvre les mesures fiscales prévues. Les instruments étant facultatifs, chaque canton peut définir sa propre stratégie et aménager à sa guise les mesures qui lui conviennent. La RIE III ne traite pas de la mise en œuvre proprement dite dans les cantons. Les cantons procèdent eux-mêmes aux réformes qu’ils estiment nécessaires en aval de la RIE III.

Encouragement des activités de R-D

L’application de règles spéciales au domaine R-D est internationalement acceptée et est très répandue dans le monde (Communication de la Commission européenne 2014/C 198/01, Encadrement des aides d’État à la recherche, au développement et à l’innovation). Des concurrents importants de la Suisse sont en pointe dans ce domaine (Grande-Bretagne et Irlande, par exemple). La Suisse s’adapte à cette évolution internationale. Elle peut être attractive dans ledit domaine à condition d’appliquer, elle aussi, des règles spéciales acceptées.

La patent box est un nouvel instrument important. Elle encourage les activités de R-D dans la mesure où les bénéfices qui en découlent sont imposés sur une base réduite. La patent box est un instrument couramment utilisé dans le monde. Les États membres de l’OCDE se sont entendus sur les modalités acceptables (cf. encadré).

Le modèle de patent box internationalement accepté est restrictif. La RIE III prévoit ainsi de compléter le dispositif par un encouragement des activités de R-D en amont, c’est-à-dire au niveau des dépenses. Cette forme d’encouragement est déjà très répandue. La RIE III permet aux cantons de faire appel à cet instrument et d’en tester les effets (sans les y obliger).

Conception de la patent box et encouragement en amont de la R-D

Les États membres de l’OCDE se sont mis d’accord sur une patent box acceptée à l’échelle internationale: l’approche dite nexus. En vertu de celle-ci, les revenus de propriété intellectuelle peuvent bénéficier d’allègements fiscaux à condition qu’ils découlent des propres activités de recherche et développement (R-D) de l’entreprise. Les contrats de recherche d’entreprises liées ne sont par contre pas éligibles. Les privilèges fiscaux apportés par la patent box sont ainsi restreints pour les groupes qui exercent des activités de R-D dans le monde entier et dans une moindre mesure en Suisse. (OCDE (2015) Action 5: Agreement on the modified Nexus Approach for IP Regimes)

Selon l’OCDE, les droits de propriété intellectuelle éligibles au régime de patent box sont nombreux et englobent notamment les brevets et autres droits immatériels comparables (modèle d’utilité, protection des variétés, protection du premier requérant, exclusivité commerciale, extension de la protection du brevet, par exemple) ainsi que les logiciels protégés par un droit d’auteur. Un certificat spécial pour les PME actives dans la recherche est aussi possible. Les droits de marque purs sont en revanche exclus. Les entreprises doivent prouver que les revenus de la box sont exclusivement issus d’activités de R-D (tracking and tracing). La patent box proposée dans le cadre de la RIE III est compatible avec ces directives de l’OCDE. 

La patent box se focalise sur les revenus de brevets et de droits immatériels comparables (encouragement de la recherche en aval). Les cantons doivent par ailleurs avoir la possibilité d’encourager la recherche en amont par le biais d’allègements au niveau des dépenses liées à la recherche et au développement, comme les salaires de chercheurs. Le Conseil fédéral définira dans une ordonnance les dépenses de R-E qualifiantes. 

Impôt sur le bénéfice corrigé des intérêts

À l’instar du domaine R-D, les activités de financement font partie des activités centralisées de tout groupe. Ces activités sont très mobiles dans les groupes multinationaux; elles sont exercées à l’endroit où les conditions-cadre sont momentanément les plus favorables. La Suisse connaît des règles fiscales spéciales pour ce genre d’activités mais elles doivent être abandonnées en raison de nouveaux développements internationaux. Elles seront remplacées par l’instrument de l’impôt sur le bénéfice corrigé des intérêts. Dans le projet qu’il avait mis en consultation, le Conseil fédéral avait considéré cette mesure «comme faisant partie intégrante d’un modèle global cohérent, visant à renforcer l’attrait de la place économique suisse», soulignant qu’elle revêtirait une grande importance pour la Suisse «en tant que pays d’accueil d’entreprises, y compris en vue de l’arrivée de nouvelles activités mobiles de groupes».

Avec cet instrument, il sera possible de déduire un intérêt sur les fonds propres dits de sécurité. Les intérêts sur les fonds étrangers (crédit, par exemple) sont, quant à eux, déjà déductibles des charges justifiées par l’usage commercial. Les fonds étrangers (c’est-à-dire le recours à l’endettement) sont ainsi privilégiés fiscalement dans le système actuel. L’introduction de l’impôt sur le bénéfice corrigé des intérêts sur le capital propre de sécurité remédie à cette distorsion qui pénalise le financement par capitaux propres. Elle incite les sociétés à créer un coussin de sécurité supplémentaire. Les entreprises et l’économie en général sont ainsi mieux armés pour affronter les crises.

Plusieurs cantons ont expressément approuvé cette mesure qu’ils considèrent comme un instrument important pour maintenir des activités de financement en Suisse, ou en attirer de nouvelles (ZH, AG, ZG, VD, SZ, par exemple). L’introduction de l’impôt sur le bénéfice corrigé des intérêts sur le capital propre est facultative: aucun canton n’est contraint de l’appliquer.

Dans un rapport additionnel, le Conseil fédéral constate que, sans la correction des intérêts, la Suisse ne serait plus concurrentielle au niveau international pour les activités de financement. La délocalisation de ce genre d’activités en serait la conséquence prévisible. L’impôt sur le bénéfice corrigé des intérêts permettrait d’éviter la disparition du substrat fiscal. La mesure a probablement aussi d’autres effets positifs. On peut s’attendre à ce que d’autres fonctions de l’entreprise soient regroupées sur le même site que celui choisi pour les activités de financement. Cela génère des emplois et des recettes fiscales supplémentaires. Pour le Conseil fédéral, «il y a de bonnes raisons de penser que la mesure est rentable, du moins pour la Confédération ainsi que les cantons et communes pris ensemble, mais peut-être aussi pour cantons et communes». (AFC (5.6.2015), Regulierungsfolgenabschätzung der Unternehmenssteuerreform III, p. 72)

Plafonnement de l’allègement

Les cantons décident en principe librement de l’étendue de l’allègement accordé en rapport avec la patent box et au titre de l’encouragement en amont des activités de R-D. Cependant, différents plafonds sont prévus.

L’allègement qu’entraîne la patent box ne doit pas excéder 90% du bénéfice. De plus, des prescriptions internationales sévères doivent être respectées (approche «nexus»). S’agissant des dépenses de R-D, elles sont déductibles à 150% au maximum. (NB: les charges d’exploitation ordinaires telles que les salaires ou les frais de matériel sont, elles, déductibles à 100%). L’allègement cumulé produit par les différents instruments est également plafonné: au moins 20% du bénéfice doit être imposé selon le régime ordinaire. De plus, les mesures cantonales ne sont pas prises en compte à l’échelon fédéral. Ainsi, un prélèvement de 8,5% est effectué sur le bénéfice total de toute entreprise au titre de l’impôt fédéral sur le bénéfice.

Les cantons peuvent fixer des plafonds plus restrictifs au besoin (allègement maximal de 50% par exemple ou taux encore plus bas). Ils peuvent aussi miser plutôt sur un taux d’imposition du bénéfice attrayant. Une solution ciblée combinant les deux stratégies est également envisageable.