# 4 / 2023
10.03.2023

La croissance de la Suisse est-elle avant tout quantitative?

Retour sur le développement économique de la Suisse ces dernières décennies

L’économie suisse a connu une croissance régulière au cours des dernières décennies, avec quelques rares revers. Les années 1990 étaient clairement la décennie la plus faible, comme le montre la figure 1. Cette évolution s’explique à la fois par des raisons structurelles et conjoncturelles. Lorsque la croissance vigoureuse des années 1980 s’est achevée, le taux d’inflation s’est envolé. La Banque nationale suisse (BNS) a réagi en relevant les taux d’intérêt et en réduisant drastiquement la masse monétaire. Puis la bulle immobilière a éclaté au début des années 1990. Cela a mis toute une série de banques en difficulté, car elles ont dû procéder à des amortissements sur leur portefeuille immobilier. Au total, les banques ont amorti quelque 60 milliards de francs jusqu’en 1996. Puis un autre facteur pénalisant est apparu: le 6 décembre 1992, le peuple suisse a refusé d’adhérer à l’Espace économique européen (EEE). La dynamisation espérée du marché intérieur, relativement cloisonné, n’a pas eu lieu. Ensuite, des réformes de politique économique ont certes pu être mises en œuvre, dans le domaine du droit de la concurrence ou du marché intérieur par exemple, mais ces réformes sont demeurées très fragmentaires par rapport à une adhésion à l’EEE. Le fait de rester à l’écart du marché intérieur européen a créé une incertitude économique et rendu la place économique suisse moins attractive pour les entreprises suisses et étrangères. Les investissements directs nets ont d’ailleurs fortement baissé. Une politique budgétaire restrictive, nécessaire pour réduire le déficit élevé du secteur public, a également pesé sur la croissance.

Différences par rapport à l’immigration des années 1990

En matière d’immigration, il n’est pas possible de comparer le régime actuel à celui des années 1990. Alors que la libre circulation des personnes était de plus en plus pratiquée entre les pays membres de l’UE, la Suisse continuait de piloter l’immigration au moyen de contingents. Bien qu’elle soit restée un pays d’immigration dans les années 1990, la composition de sa population étrangère a fortement évolué. Ainsi, les Espagnols et surtout les Italiens ont été beaucoup plus nombreux à quitter la Suisse qu’à venir s’y installer. À l’inverse, l’immigration en provenance des pays de l’ex-Yougoslavie a fortement augmenté, en raison de la guerre.

Enfin, les accords bilatéraux I ont été acceptés par le peuple suisse en 2000 et sont entrés en vigueur le 1er juin 2002. L’accès au marché s’est considérablement amélioré et depuis, seule l’immigration de main-d’œuvre en provenance de pays tiers est réglementée par des contingents, la libre circulation des personnes s’appliquant avec l’UE. Le changement de régime a eu une influence positive significative sur le niveau de qualification des personnes immigrées. Alors que jusqu’en 2002, la majorité des immigrés originaires des pays de l’UE/AELE n’avaient aucun diplôme ou un diplôme de niveau secondaire II, la majorité possède désormais un diplôme de niveau tertiaire.

La Suisse a renoué avec la croissance autour de l’an 2000

Depuis l’an 2000, l’économie suisse croît en subissant parfois des revers. La crise de la bulle internet n’a pas tardé à frapper l’économie mondiale et n’a pas épargné la Suisse. Dans le sillage de la crise des marchés financiers de 2008/2009, le PIB s’est littéralement effondré. En 2011, la crise de l’euro a provoqué une forte appréciation du franc. Puis, lorsque la BNS a supprimé le taux de change plancher avec l’euro, en 2015, le franc suisse s’est rapidement affermi. En 2020/21, nous étions aux prises avec la crise du covid et, en 2022, la Russie a envahi l’Ukraine. Les crises sont désormais la règle et non plus l’exception et elles ont affecté l’économie suisse à intervalles rapprochés. Pourtant, à l’exception de l’abolition du taux plancher avec l’euro en 2015, ces crises n’ont pas été causées par la politique suisse, mais ont touché la Suisse, les autres pays européens, voire toute l’économie mondiale, avec plus ou moins d’intensité.

Ce bref récapitulatif montre que la politique économique suisse des années 1990 est très différente de celle des décennies suivantes. L’introduction de la libre circulation des personnes avec l’UE a radicalement changé la politique d’immigration. Pour répondre à la question de savoir si la Suisse croît surtout quantitativement ou qualitativement, il faut donc laisser de côté les années 1990. C’est pourquoi nous limitons notre analyse à la période à partir de l’an 2000.