# 01 / 2019
14.01.2019

Accord institutionnel Suisse-UE – questions et clarifications

Projet d’accord institutionnel – contenu et questions principales

Structure de l'accord institutionnel

Le projet d’accord s’articule en plusieurs parties:

  • Le texte de l’accord (art. 1 à 22)
  • L’annexe X contenant des dispositions sectorielles concernant la réglementation des aides d’État en lien avec l’accord sur le trafic aérien.
  • Le protocole n° 1 qui a trait aux règles applicables pour tenir compte des conditions spécifiques du marché du travail suisse (mesures d’accompagnement ou FlaM).
  • Le protocole n° 2 qui a trait aux exceptions pour tenir compte des spécificités accordées entre les parties contractantes dans les domaines de la libre circulation des personnes (assurances sociales comprises), des transports terrestres et du commerce de produits agricoles.
  • Le protocole n° 3 qui établit la composition, les compétences et les procédures du tribunal arbitral.
  • Trois déclarations relatives à la modernisation de l’accord de libre-échange de 1972, à la contribution au fonds de cohésion et à des dispositions concernant les aides d’État en lien avec l’accord sur le transport aérien. Tant l’annexe X que les protocoles font partie intégrante de l’accord. Quant aux déclarations, elles présentent surtout un intérêt politique.

La Suisse et l’UE sont d’accord sur le texte de l’accord à proprement parler, sur les protocoles n° 2 et 3 ainsi que sur le contenu des déclarations politiques. D’après le Conseil fédéral, les parties n’ont, par contre, pas réussi à se mettre d’accord en ce qui concerne les dispositions spécifiques relatives au marché du travail suisse (FlaM/protection des salaires). Si cela avait été le cas, ces questions auraient été intégrées au protocole n° 2.

Champ d’application et dénonciation

L’accord institutionnel ne concerne que les cinq accords d’accès au marché existants du premier volet des bilatérales: libre circulation des personnes, transports terrestres, transport aérien, obstacles techniques au commerce (ARM) et agriculture. Il s’appliquera également aux accords d’accès au marché à conclure entre la Suisse et l’UE (cf. art. 2), comme un accord sur l’électricité ou encore un accord de libre-échange actualisé (cf. explications politiques). Pour régler d’éventuels différends, le Comité mixte prévu dans l’accord de libre-échange sera habilité à saisir, d’un commun accord entre les parties contractantes, le tribunal arbitral établi par l’accord institutionnel.

L’accord institutionnel prend fin six mois après sa dénonciation par l’une des parties. Tous les accords d’accès au marché conclus après la conclusion de l’accord institutionnel deviendront simultanément caducs. Pour les accords d’accès au marché du premier volet des bilatérales, l’accord institutionnel prévoit un processus de consultation de trois mois pour permettre aux parties de s’accorder sur la poursuite des accords. Si elles ne réussissent pas à trouver une solution, les accords concernés cessent également d’être applicables après un délai de six mois.

Questions en suspens

La limitation de la portée de l’accord institutionnel à cinq accords d’accès au marché est d’une importance considérable. Tous les accords bilatéraux conclus entre la Suisse et l’UE, au nombre de 140 environ, étaient en effet visés initialement. La réduction de ce nombre clarifie la situation politique intérieure, diminue le potentiel de litiges et garantit la sécurité du droit. S’agissant du risque de dénonciation des accords d’accès au marché couverts par l’accord institutionnel en cas de dénonciation de celui-ci, la question se pose de savoir si cette clause représente une détérioration en comparaison de la situation actuelle. Les accords bilatéraux I contiennent eux-mêmes déjà une clause guillotine. L’accord institutionnel se montre désormais plus souple: la proportionnalité des mesures de compensation prises par une partie en cas de non-respect par l’autre partie d’un des cinq accords d’accès au marché existants peut être examinée dans le cadre du mécanisme de règlement des différends.

Reprise dynamique du droit, interprétation et surveillance

La Suisse et l’UE se sont entendues sur une reprise dynamique des nouvelles dispositions européennes dans les accords d’accès au marché couverts par l’accord institutionnel. La Suisse disposera à chaque fois d’un délai de deux ans. Contrairement à une reprise automatique du droit, une reprise dynamique respecte les processus démocratiques suisses de prise de décisions. En cas de référendum législatif, le délai est prolongé d’un an. La Suisse s’est de plus engagée à reprendre le droit européen pertinent dans le domaine des travailleurs détachés dans un délai de trois ans après l’entrée en vigueur de l’accord institutionnel, conformément à la proposition de l’UE dans le protocole n° 1. En contrepartie, elle sera systématiquement consultée, comme les États membres de l’UE, sur l’élaboration des développements pertinents du droit au sein de l’UE et pourra faire part activement de ses préoccupations dans le cadre du droit de participation («decision shaping»). Aujourd’hui déjà, la Suisse est associée aux développements du droit en lien avec l’accord sur les obstacles techniques au commerce.

Les exceptions à la reprise du droit européen sont énumérées dans les protocoles n° 1 et 2. Elles assurent le maintien des règles particulières entre la Suisse et l’UE. Pour la première fois, l’UE se montre notamment disposée à inscrire dans l’accord les mesures de la Suisse pour garantir et sécuriser ainsi le niveau de protection des salaires. L’offre de l’UE contient pour l’essentiel la possibilité d’un délai d’annonce préalable (de quatre jours ouvrables de travail au lieu de huit jours actuellement et sur la base d’une analyse des risques), le dépôt d’une garantie financière et une obligation de documentation pour les indépendants.

La Suisse et l’UE interprètent les accords bilatéraux de manière autonome («dans le respect des principes du droit international public»), mais aussi homogène que possible (cf. art. 4). Le droit de l’UE repris dans les accords est interprété conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), antérieure ou postérieure à l’entrée en force de l’accord institutionnel. Pour ce qui est de la surveillance de l’application des accords, le modèle à deux piliers que connaît déjà l’EEE s’appliquera: la Suisse et l’UE sont chacune responsables de l’application correcte des accords sur leur territoire respectif.

Questions en suspens

L’engagement à reprendre des développements du droit dans le domaine des accords d’accès au marché peut être perçu comme une limitation de la marge de manœuvre de la Suisse. Il faut toutefois examiner de manière plus approfondie si cette limitation est aussi pertinente dans les faits. Conjuguée au travail du tribunal arbitral, la reprise du droit devrait entraîner, en premier lieu, une harmonisation dépolitisée du droit. Aujourd’hui, la Commission européenne peut par exemple retarder ou bloquer l’adaptation de l’accord relatif à la reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de la conformité. Grâce à la reprise dynamique du droit, cela ne sera en principe plus possible, ou alors la Suisse pourrait porter une telle affaire devant le tribunal arbitral. Tout ceci renforcera donc la sécurité du droit pour les entreprises.

Il convient également de se demander si les processus démocratiques suisses de prise de décision sont respectés dans le cadre d’une reprise dynamique du droit. Les délais prévus le permettent en tout cas. Selon l’accord institutionnel, la Suisse dispose d’un délai de deux ans pour intégrer le droit de l’UE dans sa législation, qui peut être prolongé d’un an en cas de référendum. Aujourd’hui déjà, la reprise automatique du droit ancrée dans l’accord sur le transport aérien n’a entraîné aucun problème d’aucune sorte au niveau du processus législatif suisse depuis l’entrée en vigueur de cet accord en 2002.

L’évaluation de l’accord institutionnel ne doit pas oublier non plus que la Suisse sera à l’avenir systématiquement consultée sur l’élaboration des développements pertinents du droit de l’UE, ce qui lui permettra de faire part de ses préoccupations à un stade précoce («decision shaping») et que des représentants suisses pourront prendre part à la mise en œuvre des règles de l’UE dans des comités de l’UE (comitologie). Il convient en outre de saluer le fait que l’UE ne remet pas en question l’immense majorité des exceptions existant dans les accords bilatéraux I à la reprise dynamique du droit. Que la Suisse n’ait pas pu obtenir une pleine exemption des mesures d’accompagnement de la reprise dynamique du droit ne correspond pas à la ligne rouge tracée par le Conseil fédéral dans le mandat de négociation. Qui plus est, l’importance des travailleurs détachés sur le niveau des salaires en Suisse ne devrait pas être surestimée. Seule une appréciation adéquate de cette question dans sa globalité permettra de poursuivre la voie bilatérale.

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’UE n’établit plus de distinction entre marché intérieur, justice et affaires intérieures et affaires étrangères. Les directives et les règlements européens peuvent donc aussi contenir des règles qui n’intéressent pas le marché intérieur et les accords pertinents d’accès au marché. La Suisse devra veiller à exclure leur application lors de la reprise du droit. La pertinence de diverses règles dans un acte juridique de l’UE pour le marché intérieur (que la Suisse doit donc reprendre obligatoirement si le champ d’application des cinq accords est concerné) peut aussi être évaluée par le tribunal arbitral. Il y a lieu d’examiner de surcroît ici si la limitation aux accords bilatéraux I et aux futurs accords d’accès au marché ne fait déjà pas juridiquement obstacle à un débordement potentiel du champ d’application.

Figure 1

Règlement des différends

En cas de différend, par exemple au sujet de la reprise du droit, le Comité mixte tente de trouver une solution mutuellement acceptable dans un délai de trois mois. Si aucune solution n’est trouvée, chaque partie peut demander la constitution d’un tribunal arbitral paritaire (cf. art. 10 et protocole n° 3). Si le tribunal arbitral décide que le différend soulève une question concernant le droit de l’UE, le tribunal arbitral saisit la CJUE et est lié par l’interprétation de celle-ci, de manière similaire à une procédure préjudicielle. La décision rendue par le tribunal arbitral est définitive et contraignante. Si la partie ayant succombé ne met pas en œuvre la décision, l’autre partie peut prendre des mesures de compensation. Ces mesures peuvent à leur tour être contestées devant le tribunal arbitral qui en examinera la proportionnalité.

La CJUE doit encore approuver la réglementation sur le tribunal arbitral prévue dans l’accord institutionnel au sujet du rôle qui lui est dévolu.

Questions en suspens

La question centrale qui se pose à propos de la procédure d’arbitrage est de savoir si elle améliore la position de la Suisse. Le mécanisme sur lequel les parties se sont entendues pour régler les différends permet à la Suisse de disposer d’un instrument pour faire valoir efficacement ses intérêts en lien avec les accords d’accès au marché concernés. La sécurité du droit s’en trouve renforcée. Jusqu’à présent, cela n’était pas possible sans une solution mutuellement acceptable au sein du Comité mixte compétent. L’examen de la proportionnalité des mesures de compensation au cas où la décision du tribunal arbitral ne serait pas mise en œuvre est également important. Les mesures de compensation peuvent aller au maximum jusqu’à la suspension des accords. Une résiliation est exclue. Une suspension d’accords entiers par l’UE ne pourrait guère être jugée proportionnelle dans le cas où la Suisse ne voudrait pas reprendre certains développements du droit de l’UE. Il est dans la nature des choses que l’intervention d’un tribunal arbitral soit vue par beaucoup comme une atteinte à la souveraineté nationale. Cet aspect doit être discuté soigneusement. Sur la base d’une première évaluation, le tribunal arbitral paritaire est toutefois conforme aux principes usuels du droit international public. La Suisse a prévu de telles procédures arbitrales dans de nombreux accords.

Une question contestée concerne la partialité supposée de la CJUE. Une analysede tous les arrêts de la CJUE ayant nécessité une interprétation des accords bilatéraux Suisse-UE montre que la Cour de justice fait preuve d’objectivité et d’impartialité et qu’elle ne donne pas systématiquement tort à la Suisse ou aux personnes ou entreprises qui invoquent à l’appui de leurs recours les droits (d’accès au marché) garantis par un accord. Il est clair que seule une procédure arbitrale politiquement indépendante sera acceptée par les deux parties.

Figure 2

Aides d'État

Pour soumettre les entreprises suisses et celles de l’UE à des conditions identiques («level playing field») et ne pas fausser la concurrence sur le marché intérieur, l’accord institutionnel contient des principes qui règlent l’attribution des aides d’État (cf. art. 8A, 8B, 8C). Les dispositions en la matière s’appliquent à l’accord sur le transport aérien en vigueur et à tous les accords d’accès au marché à venir (accord sur l’électricité, par exemple). Elles ne sont juridiquement contraignantes et donc judiciairement exécutoires qu’en lien avec des dispositions sectorielles contenues dans les différents accords d’accès au marché. Des exceptions à l’interdiction des aides d’État sont explicitement prévues dans l’accord institutionnel et citées en partie concrètement (cf. art. 8, paragr. 2, let. b). En font partie par exemple les aides destinées à favoriser le développement de régions économiquement défavorisées ou à promouvoir la réalisation de projets importants servant l’intérêt d’un pays.

La Suisse et l’UE surveillent chacune le respect de ces principes de manière autonome. Leurs autorités de surveillance respectives sont indépendantes l’une de l’autre et leur système de fonctionnement est basé sur le principe de l’équivalence (modèle à deux piliers). Une autorité peut par exemple ordonner le recouvrement d’aides d’État accordées à des entreprises en violation des règles en la matière ou autoriser des aides prévues. En outre, des échanges réguliers et transparents d’informations sont prévus entre les deux autorités de surveillance.

Pour ce qui est de l’actuel accord sur le transport aérien, des dispositions spécifiques de droit européen régissant les aides d’État et applicables à la Suisse aussi dans le futur figurent dans l’annexe X.

Questions en suspens

L’annexe X reflète le développement du droit européen sur les aides d’État depuis la conclusion de l’accord sur le transport aérien de 1999, qui est ainsi porté au niveau actuel de la législation européenne. Malgré la liste détaillée des dispositions, il convient de distinguer les conséquences théoriquement possibles des effets à attendre dans la pratique. En théorie, par exemple, les banques cantonales pourraient être touchées par la «Communication concernant le secteur bancaire» dans le cadre de l’accord sur le transport aérien. Mais elles ne seraient concernées que de manière très limitée; tel serait le cas par exemple lorsqu’une banque cantonale au bénéfice d’une garantie d’État accorde un crédit à une compagnie aérienne (et non à des infrastructures) dont les services tombent dans le champ d’application de l’accord sur le transport aérien.

Quatre conclusions peuvent néanmoins déjà être tirées à ce stade: 1) les principes prévoient aussi des exceptions à l’interdiction des aides d’État; 2) les règles sur les aides d’État non couvertes par un accord sectoriel, tel l’accord sur le transport aérien, ne s’appliquent qu’aux futurs accords d’accès au marché; 3) l’indépendance de la surveillance du respect des règles sur les aides d’État a pu être préservée dans l’accord institutionnel. L’UE ne dispose d’aucune compétence souveraine pour surveiller la Suisse; 4) du point de vue de l’économie, une plus grande transparence sur les subventions et les aides d’État est absolument souhaitable en Suisse, et ce pour des raisons de politique intérieure.

Il n’en reste pas moins qu’une analyse approfondie des principes contenus dans l’accord institutionnel s’impose pour pouvoir apprécier leur effet sur le droit suisse des subventions et le système fédéral suisse. Elle doit être menée compte tenu en particulier aussi du fait que l’accord institutionnel s’appliquera aussi à un accord de libre-échange modernisé. Les analyses commandées par les cantons en 2017 sur les règles applicables aux aides d’État ne s’appuient pas sur le texte de l’accord à présent disponible et nécessitent donc un nouvel examen juridique.

Explications politiques

Dans une déclaration conjointe juridiquement non contraignante, la Suisse et l’UE affirment qu’il convient de moderniser l’accord de libre-échange de 1972. Cette modernisation vise notamment les domaines suivants: l’accès au marché des biens et services, les modalités d’application des mesures de défense commerciale, la simplification des procédures douanières et des règles d’origine, la protection de la propriété intellectuelle ou encore l’amélioration des mécanismes de reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de la conformité. Si les deux parties le souhaitent, il sera aussi possible de recourir au mécanisme de règlement des différends dès la conclusion de l’accord institutionnel.

Les parties soulignent par ailleurs l’importance de la contribution de la Suisse à l’UE élargie et annoncent l’intégration de l’annexe X sur les aides d’État dans l’accord sur le transport aérien.

Questions en suspens

La modernisation annoncée de l’actuel accord de libre-échange est un signal important pour l’économie. De plus amples clarifications sont ici toutefois nécessaires de part et d’autre sur la direction générale de la modernisation.

Autres thèmes centraux

Directive sur la citoyenneté européenne

L’accord ne fait pas mention de la directive sur la citoyenneté européenne. Ce qui pourrait laisser supposer que l’UE exigera ultérieurement la reprise de la directive par la Suisse pour adapter l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) aux développements du droit européen. Rien n’est moins sûr. Quand l’ALCP a été conclu, le concept de la citoyenneté européenne existait déjà, mais n’a volontairement pas été repris. L’annexe 1 de l’ALCP énumère certes des directives qui ont été remplacées depuis par la directive sur la citoyenneté européenne. Par conséquent, on peut admettre que seules des parties de ladite directive sont concernées par la reprise dynamique du droit, et que d’autres ne le sont pas. Les domaines à reprendre doivent avoir un lien concret avec le marché intérieur. Pour le reste, l’accord institutionnel ne contient aucune disposition qui obligerait la Suisse à reprendre la directive. Ces domaines concrets feront l’objet de négociations, et pourraient être clarifiés. Si bien qu’on peut supposer par exemple que le droit de vote et d’éligibilité accordé par la directive aux ressortissants d’un État membre lors des élections municipales dans la commune qui tient lieu de domicile principal ne devrait pas être repris. D’un point de vue matériel, les différences entre la directive sur la citoyenneté européenne et l’ALCP sont surestimées. Concernant le droit de séjour des citoyens de l’UE et leur droit à des prestations d’assurance sociale jusqu’à cinq ans, la situation juridique dans l’UE et en Suisse est comparable: le droit de séjour et le droit à des prestations sociales sont subordonnés à un contrat de travail existant. La CJUE accorde aux États membres une large marge de manœuvre pour traiter les demandes de prestations sociales émanant de ressortissants économiquement inactifs d’un autre État membre et éviter ainsi une immigration dans leurs systèmes sociaux.

Aide sociale et directive sur la citoyenneté européenne: jurisprudence de la CJUE

Pas d’immigration dans les systèmes sociaux

Un État membre doit avoir la possibilité de refuser l’octroi de prestations sociales à des citoyens de l’Union économiquement inactifs qui exercent leur liberté de circuler dans le seul but d’obtenir le bénéfice de l’aide sociale d’un autre État membre, a jugé la CJUE par arrêt du 11 novembre 2014.

Dans cette affaire, la Cour a confirmé une décision du Jobcenter de Leipzig, qui avait refusé d’octroyer des prestations de l’assurance de base à une ressortissante de Roumanie et à son fils. En se fondant sur la directive sur la citoyenneté européenne, la CJUE a arrêté que des citoyens européens, économiquement non actifs, ne peuvent séjourner légalement dans un autre État membre que s’ils disposent de ressources suffisantes pendant les cinq premières années. Le but de cette règle est d’éviter que des citoyens économiquement inactifs sollicitent le système de la sécurité sociale de l’État d’accueil pour subvenir à leurs besoins.

Par arrêt du 15 septembre 2015, la Cour a jugé que dans le cas de citoyens européens à la recherche d’un emploi aussi, il est possible, dans certaines circonstances, de refuser le versement de prestations sociales même si celles-ci sont dues à des ressortissants de l’État membre d’accueil.

Aujourd’hui déjà, les ressortissants des États membres de l'UE/AELE reçoivent une autorisation d’établissement après un séjour de cinq ans en Suisse, conformément à la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI) et aux accords bilatéraux. Avec la reprise de la directive sur la citoyenneté européenne, ce droit serait étendu à tous les autres États membres de l’UE. Les conséquences de cet élargissement devraient être néanmoins contenues, car les ressortissants des pays voisins (Allemagne, France, Italie et Autriche), qui forment les plus gros contingents d’immigrés, sont déjà autorisés à s’établir en Suisse en vertu des accords qui ont été conclus avec leur pays.

Il n’est pas possible pour l’heure d’apprécier définitivement si l’expulsion de criminels ressortissants d’un État membre de l’UE pourrait, le cas échéant, être rendue plus difficile du fait de la reprise de la directive sur la citoyenneté européenne. Pour mettre en œuvre l’initiative sur le renvoi, la Suisse a durci sa pratique, avec pour conséquence que des citoyens de l’UE peuvent perdre leur permis de séjour ou leur droit d’établissement en Suisse après une condamnation à une peine privative de liberté de plus d’un an. Selon la directive sur la citoyenneté européenne, l’éloignement du territoire d’un citoyen de l’Union ou des membres de sa famille qui ont acquis un droit de séjour permanent est interdit, sauf pour des motifs graves d’ordre public ou de sécurité publique. De premiers arrêts du Tribunal fédéral sur le renvoi de citoyens européens et l’application de la règle sur les cas de rigueur indiquent que la pratique de la Suisse devrait se situer à l’intérieur de la marge d’appréciation octroyée aux États membres de l’UE.

Détachement des travailleurs contre mesures d’accompagnement

Le protocole n° 1 prévoit que la Suisse mette en œuvre la directive 2018/957 sur le détachement des travailleurs étrangers et la directive 2014/67 sur le contrôle de l’application dans les trois ans suivant l’entrée en vigueur de l’accord institutionnel. Les modalités exactes de la mise en œuvre doivent encore être clarifiées par le biais de négociations. Ainsi, la directive sur les travailleurs détachés autorise un détachement de douze mois dans l’UE, alors que les prestations de services des entreprises étrangères en Suisse – et donc, le détachement – sont limitées à 90 jours par an. Lors de la reprise par la Suisse de la directive sur les travailleurs détachés, celle-ci devrait donc être adaptée ou limitée en conséquence.

Dans ce contexte, il est important de relever que l’UE accepte pour la première fois des exceptions à l’acquis communautaire. Et ceci en contrepartie de la reprise dynamique de droits prévus dans le cadre de la libre circulation des personnes. L’accord institutionnel prévoit ainsi les règles suivantes:

  • une période d’application de quatre jours ouvrables sur la base d’une analyse des risques objective et sectorielle,
  • l’obligation de dépôt pour les entreprises qui n’ont pas respecté leurs obligations financières dans le passé, et
  • des mesures de lutte contre le travail de faux indépendants.

Dans son offre, l'UE propose de préserver les mesures suisses qui ne sont pas couvertes par le droit communautaire actuel. Les autres mesures d’accompagnement existantes peuvent être largement comparées à la législation actuelle de l'UE (en particulier la directive révisée sur les travailleurs détachés). Elles ne seraient toutefois pas garanties par l’accord institutionnel et seraient donc soumises aux développements juridiques ou au mécanisme de règlement des différends. Sur le plan du contenu, toutefois, celles-ci sont équivalentes aux mesures en vigueur dans l'UE et le salaire de base n'est donc pas menacé. De plus, la Suisse peut continuer de prendre des mesures d'accompagnement pour garantir le principe «à travail égal, salaire égal». Elle peut le faire à condition que les nouvelles règles soient compatibles, non discriminatoires et proportionnées avec la directive sur les travailleurs détachés et la directive d’application de ces droits.

Les syndicats s’opposent à des ajustements des mesures d’accompagnement au motif que sans elles, le niveau des salaires en Suisse s’effondrerait sur un large front. Toutefois, l’ensemble des études ont démontré uniquement des effets mineurs de la libre circulation des personnes sur le niveau des salaires en Suisse. Selon les calculs d’Avenir Suisse, les prestations de courts séjours en Suisse ne représentent que 0,7% de l’emploi total. L’impact négatif correspondant sur le niveau des salaires en Suisse devrait donc être nettement inférieur à ce que prétendent les milieux syndicaux. D’ailleurs, depuis l’entrée en vigueur de l’ALCP en Suisse, on peut dire que même les salaires les plus bas ont augmenté.

Figure 3

Assurances sociales

L’UE révise actuellement son règlement portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale 883/2004. Celui-ci fait partie intégrante de l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) (annexe 2) et règle la coordination des droits sociaux des travailleurs amenés à travailler dans différents pays d’Europe connaissant la libre circulation des personnes. Un point essentiel concerne le changement de compétence en matière de versement des prestations d’assurance de chômage aux travailleurs frontaliers. La Suisse, qui compte 320 000 travailleurs frontaliers, est très affectée par ce phénomène. C’est la raison pour laquelle elle souhaitait que les assurances sociales ne soient pas tenues de reprendre les développements dynamiques du droit, ce que l’UE a refusé. La révision n’étant pas encore sous toit, l’accord institutionnel ne mentionne pas la coordination des assurances sociales. Les négociations en vue de la reprise du règlement révisé dans l’accord sur la libre circulation des personnes pourraient démarrer en 2020. En lien avec ce changement de système, la Suisse doit s’attendre à des coûts supplémentaires se chiffrant en centaines de millions de francs. Si cela s’avère, il faudra s’attendre à une hausse des cotisations de chômage, à moyen terme, pour préserver l’équilibre financier de cette assurance.

Le changement des compétences en ce qui concerne les prestations de chômage en faveur de travailleurs frontaliers constituera un point important des négociations sur les relations entre la Suisse et l’UE, et ce indépendamment des négociations sur un accord-cadre.

Questions en suspens sur les autres thèmes centraux

Des questions importantes subsistent également en lien avec la directive sur la citoyenneté européenne, les mesures d’accompagnement et les assurances sociales. Aussi faut-il évaluer les effets d’un développement prévisible des accords dans ces trois domaines. Ceux-ci dépendent d’une part des négociations et d’autre part de la portée juridique de l’accord institutionnel. À titre d’exemple, on ignore, dans le domaine de la directive sur la citoyenneté européenne, quelles parties seront effectivement reprises par la Suisse.

Les parties contractantes sont d’accord en ce qui concerne la nécessité de maintenir la protection des travailleurs. Les objectifs visés par les mesures d’accompagnement, soit empêcher le dumping salarial et préserver le niveau des salaires suisses, sont incontestés. Encore faut-il évaluer correctement l’importance sociale et économique de ces objectifs. Sachant que la performance économique globale des travailleurs détachés représente 0,7% en moyenne, l’impact d’éventuelles adaptations des mesures de protection doit être examiné en regard de l’importance économique de la voie bilatérale. C’est sur cette base qu’il s’agira ensuite de trouver des solutions. Il est bien plus important d’évaluer l’intervention que représente la reprise, également obligatoire, de la directive d'exécution dans l’autonomie tarifaire des partenaires sociaux. Les parties doivent clarifier cela avant de signer l’accord institutionnel et peut-être aussi préciser officiellement que la directive relative aux travailleurs détachés et la directive d’exécution ne restreignent pas le système des contrôles paritaires des partenaires sociaux suisses (compétence de surveiller et de sanctionner). Cela améliorerait sensiblement l’acceptation, en Suisse, de l’accord institutionnel.

Des questions similaires se posent dans le domaine des assurances sociales. Les éventuels coûts salariaux doivent être évalués de manière globale. Il faut également reconsidérer les développements possibles de la réglementation. Les mesures de l’UE contre le dumping salarial se sont en effet rapprochées des règles suisses – une évolution similaire n’est pas exclue dans le domaine des assurances sociales.