# 08 / 2019
17.03.2019

Étudiants étrangers: formation onéreuse et potentiel inexploité

Étudiants originaires d’États tiers: les faits

Afin de mettre en évidence le potentiel qui échappe à la Suisse en raison de sa politique restrictive et les coûts qui sont engagés en matière de formation, nous avons examiné les quatre questions suivantes:

  • Combien de personnes originaires d’États tiers étudient en Suisse?
  • Dans quelles filières étudient-elles?
  • Combien de diplômés originaires d’États tiers restent et travaillent en Suisse après l’achèvement de leur formation?
  • Combien coûte leur formation aux contribuables suisses? 

Pour répondre à ces questions, nous avons compilé les données publiques de l’Office fédéral de la statistique. Les étudiants et titulaires de diplômes y sont relativement bien comptabilisés, aussi en fonction du lieu de scolarisation. À cet égard, les statistiques distinguent les personnes formées en Suisse des personnes ayant un diplôme de fin d’études secondaires étranger, aussi appelés «étrangers scolarisés à l’étranger». Les étudiants et diplômés d’États tiers qui nous intéressent sont justement ces étrangers scolarisés à l’étranger.

Combien de personnes originaires d’États tiers étudient en Suisse?

Depuis les années 1990, une tendance générale se dessine clairement dans le paysage des hautes écoles à l’échelle mondiale: Toujours plus d’individus entreprennent des études à l’étranger. En Suisse aussi cette tendance est manifeste. Au cours des vingt dernières années, la part des étudiants étrangers a doublé, passant de 10% à 20% pour l’année académique 2017/18. Près de 30% de ces étrangers scolarisés à l’étranger sont originaires d’États tiers. Les autres étudiants de ce groupe, et donc la majorité, viennent des pays de l’UE/AELE.

Pour l’année académique 2017/18, 5,6% des étudiants dans les hautes écoles suisses étaient originaires d’États tiers. Ils étaient bien plus nombreux dans les hautes écoles universitaires (7,1%) que dans les hautes écoles spécialisées et hautes écoles pédagogiques (3,2%). En chiffres absolus pendant la période sous revue, 12 894 étudiants originaires d’États tiers étaient immatriculés dans une haute école suisse pour un bachelor, un master ou un doctorat, dont 10 125 dans une université. Si on considère les niveaux d’études, près de 34% de ces étudiants étaient inscrits pour des études de doctorat, 43% environ pour des études de master et 23% environ pour des études de bachelor. Si on considère les diplômes, on constate que, en 2017, 2903 personnes originaires d’États tiers ont décroché un bachelor, master ou doctorat. Quelque 17% des doctorats décernés en Suisse sont allés à des étudiants originaires d’États tiers. La proportion est de 9% pour les masters et de 2% pour les bachelors.

Figure 2

Dans quelles filières les personnes originaires d’États tiers étudient-elles?

Les chiffres de l’OFS montrent clairement que plus de 55% des diplômes obtenus par des personnes originaires d’États tiers dans des hautes écoles universitaires concernent des filières MINT. Ce chiffre est bien supérieur à la part des diplômes MINT à l’ensemble des diplômes tous étudiants confondus. En 2017, les étudiants d’États tiers ont ainsi obtenu plus de 1500 diplômes pour des filières MINT.

La figure 3 montre la proportion de diplômés d’États tiers pour toutes les filières en 2017. Elle couvre tous les diplômes de bachelor et de master ainsi que les doctorats auprès de hautes écoles universitaires.

Le génie mécanique et électrique affiche le plus fort taux de diplômés originaires d’États tiers avec 17,5%. Viennent ensuite les sciences exactes, suivies des sciences naturelles, exactes et autres. Le top 5 est complété par les sciences techniques pluridisciplinaires et autres ainsi que les sciences naturelles. On trouve également un nombre supérieur à la moyenne de diplômés d’États tiers en théologie, pharmacie, filières interdisciplinaires et autres ainsi que dans la construction et la géodésie. Ils sont cependant moins nombreux que la moyenne en médecine, en droit, mais également dans les sciences sociales, les langues, l’histoire et dans les sciences culturelles.

Figure 3

On voit apparaître une image claire: Les personnes originaires d’États tiers sont surreprésentées dans les filières MINT. Or c’est précisément dans ce domaine que la Suisse connaît une pénurie de main-d’œuvre sévère. Pour atténuer cette pénurie, on pourrait envisager d’intégrer sur le marché du travail cette main-d’œuvre spécialisée qui a déjà pu s’acclimater pendant les études. Le potentiel est en effet non négligeable.

Les étrangers sont également très importants pour la relève scientifique. Parmi les doctorants dans les filières MINT, la proportion de personnes originaires d’États tiers oscille entre 20% et 30%. Pour une recherche forte, la Suisse a besoin d’étudiants d’États tiers pouvant contribuer à l’excellence dans la recherche et dans l’enseignement.

Combien de diplômés originaires d’États tiers restent et travaillent en Suisse après l’achèvement de leur formation?

En règle générale, les diplômés internationaux sont mobiles et disparaissent souvent rapidement des radars. On ne dispose pas non plus de données fiables sur le nombre de diplômés d’États tiers qui exercent une activité lucrative en Suisse après leurs études. Nous avons essayé d’établir un tableau le plus proche possible de la réalité au moyen des informations disponibles.

Pour ce faire, deux approches étaient possibles. La première s’appuie sur la réponse du Conseil fédéral à la motion du conseiller national PLR Marcel Dobler. On peut y lire que le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) accorde 150 à 200 permis de séjour par an, dans le cadre des contingents, à des diplômés d’États tiers. Pour voir ce que cela représente par rapport à l’ensemble des diplômes d’une année académique, nous avons comparé ce chiffre au nombre de diplômes de bachelor et master pour une année. Il apparaît que 10% à peine des titulaires d’un bachelor ou d’un master entrent effectivement sur le marché du travail suisse.

La seconde approche s’appuie sur l’étude d’Annique Lombard (2017) à l’Université de Neuchâtel. Cette étude calcule, sur la base des diplômes de master décrochés en 2012, le pourcentage de diplômés internationaux des hautes écoles qui restent en Suisse. Le résultat montre que deux ans après l’achèvement des études, 28% des diplômés d’États tiers séjournent toujours en Suisse sans poursuivre de formation. On peut dire que 16% des diplômés internationaux entament un doctorat en Suisse. On ignore par contre quelle part des 28% de diplômés restés en Suisse sans poursuivre de formation, travaillent effectivement et séjournent en Suisse pour des raisons familiales ou autres. Une étude similaire réalisée en Allemagne arrive à la conclusion que la moitié des personnes restées dans le pays après l’achèvement des études exercent une activité lucrative. Si on part de l’hypothèse que le taux est identique en Suisse, alors 14% seulement d’une volée sont actifs sur le marché du travail.

On peut supposer que 10% à 15% environ de tous les diplômés d’États tiers exercent effectivement une activité lucrative en Suisse. Une étude comparative de l’OCDE montre que ce taux se situe entre 15% et 29% au sein de l’UE.

Combien coûte la formation des étudiants d’États tiers aux contribuables suisses?

En Suisse, les taxes d’études couvrent une partie seulement des frais de formation effectifs. Les pouvoirs publics subventionnent en grande partie la formation des étrangers. Ceux-ci paient des taxes d’études supérieures seulement dans de rares cas.

Dès lors, on peut se demander combien les étudiants étrangers coûtent réellement. Un calcul fiscal global intègrerait non seulement les frais occasionnés mais également les recettes. D’une manière générale, il ressort de la littérature que le bilan fiscal est d’autant meilleur qu’une personne travaille longtemps dans un pays après la fin de ses études. L’établissement d’un bilan fiscal dépasse toutefois le cadre de la présente analyse. Nous nous contenterons d’examiner les coûts de formation. L’objectif est d’évaluer grossièrement les coûts effectifs.

Pour ce faire, nous avons besoin d’informations sur les coûts par étudiant, sur les taxes d’études et sur la durée des études. L’OFS calcule les coûts par étudiant mais sans distinguer les niveaux d’études. Les données concernant les taxes d’études sont accessibles sur les sites internet des hautes écoles. En ce qui concerne la durée des études, l’OFS fournit des chiffres par filière et par niveau d’études. On dispose donc du nombre d’étudiants originaires d’États tiers par niveau d’études, mais on ignore dans quelles filières ils se trouvent. Autrement dit, les données disponibles permettent de faire des calculs pour les coûts par niveau d’études, mais pas par filière. À titre d’exemple, nous commencerons par établir les coûts pour une formation de bachelor et de master dans une université en Suisse. Ensuite, nous estimerons les coûts totaux par année d’une formation de bachelor et de master dans une université ou une haute école en Suisse pour les étudiants d’États tiers.

Selon l’OFS, les coûts moyens d’une formation universitaire se situent aux alentours de 23 000 francs par an. La durée moyenne des études est de quatre ans pour un bachelor et de deux ans et demi pour un master. Les taxes d’études moyennes (non pondérées) des universités suisses se montent à 2500 francs par an. Calculés sur la base de ces paramètres, les coûts moyens d’études de bachelor et de master en Suisse pour un étudiant originaire d’un État tiers se montent ainsi à 133 000 francs au total. Selon l’OFS, une formation de bachelor et de master auprès d’une haute école spécialisée revient à 30 000 francs environ par étudiant et par an. Ce montant supérieur s’explique par le taux d’encadrement – nombre d’étudiants par enseignant – supérieur dans les HES par rapport aux universités. Les taxes d’études moyennes varient davantage d’une HES à l’autre et sont nettement plus élevées, en particulier pour les étrangers en formation de niveau master. On arrive ainsi à des taxes d’études moyennes, non pondérées, de 4800 francs par an environ.

Si on estime les coûts occasionnés dans les HES, dans les hautes écoles pédagogiques et dans les universités sur cette base, on peut dire que la Suisse consacre chaque année 180 millions de francs par an au total pour former 8500 étudiants de bachelor et de master originaires d’États tiers.