# 10 / 2018
12.11.2018

Finances fédérales 2019: risques à l’horizon

Perspectives pour le budget fédéral

Même si la situation financière de la Confédération paraît confortable de prime abord, le développement de son budget est exposé ces prochaines années à des risques côté recettes comme dépenses. Outre la hausse possible des charges par de nouvelles réformes et autres projets, l’évolution des recettes fait face à des incertitudes de taille. En particulier un échec du projet Réforme fiscale et AVS ou un effondrement de l’impôt anticipé troublerait sensiblement le tableau optimiste des finances fédérales.

Le domaine Impôts et redevances compte plusieurs projets essentiels pour les milieux économiques et, à plus grande échelle, pour notre économie nationale. Les discussions portent sur la suppression des droits de timbre et l’abolition des droits de douane industriels. Le projet le plus important, la réforme prévue de l’impôt anticipé pour renforcer la compétitivité de la Suisse en tant que pays d’accueil des grandes entreprises et place financière, devrait largement rester sans incidence sur le budget. Le domaine Recherche se prépare à un projet crucial pour le pôle de recherche suisse: le programme-cadre de recherche de l’UE 2021 à 2027 succédant à «Horizon 2020». Avec l’augmentation du budget global, la Suisse pourrait devoir faire face à des dépenses supplémentaires de plus de 300 millions de francs. Pour l’heure, la question de la participation de la Suisse et sous quelle forme reste ouverte. Il en va de même pour Erasmus+, la santé et sécurité alimentaire ou encore la culture (EU-MEDIA).

Ce qui est certain est qu’à l’heure actuelle, le plan financier n’offre pas une marge suffisante pour réaliser tous les projets en attente. Une politique des dépenses prudente ainsi qu’une priorisation des projets selon des critères de temps et de financement favoriseraient toutefois la mise en œuvre des projets planifiés.

Réformes structurelles

Grâce à la stabilité budgétaire, aucune mesure à court terme pour respecter le frein à l’endettement ne s’impose en 2019 – une première depuis longtemps.

Pour l’avenir, le Conseil fédéral souhaite néanmoins optimiser l’accomplissement des tâches et alléger les finances fédérales. L’impulsion en ce sens a été donnée par la motion «Réduire les dépenses liées» (17.3259) transmise par le Parlement. Par ailleurs, le programme de la législature 2015 à 2019 et la loi sur l’organisation du gouvernement et de l’administration exigent un examen régulier des tâches, planification restrictive incluse.

Concrètement, le Conseil fédéral prévoit 36 mesures individuelles censées offrir une certaine marge pour de nouvelles tâches et limiter la charge fiscale. Il n’y a cependant pas d’objectif quant aux économies à réaliser. Les mesures font actuellement l’objet d’un examen approfondi et seront soumises au Parlement comme projets individuels, sans suivre un ordre précis. La mise en œuvre sera communiquée dans le compte d’État. L’ordre de grandeur varie sensiblement d’une mesure à l’autre, par exemple optimiser le domaine du versement des rentes (selon la nouvelle réforme AVS21), évaluer le potentiel d’optimisation dans les messages CI, Culture et FRI 2021 à 2024, adapter les structures organisationnelles de divers départements et offices fédéraux, abaisser l’indexation des versements en faveur du FIF ou encore désenchevêtrer le budget fédéral et l’AVS.

Projet Réforme fiscale et AVS, un impératif

La discussion autour du projet Réforme fiscale et AVS vise surtout les conséquences financières pour l’État. Aujourd’hui, elles sont aussi claires que le permet la complexité du sujet.

Le volet fiscal à lui seul coûtera 600 millions de francs à court terme à la Confédération (à partir de 2020). Ce montant comprend les fonds que la Confédération verse aux cantons (1 milliard environ), déduction faite des recettes supplémentaires (environ 400 millions de francs).

Avec 600 millions de francs, ce qui représente à peine 1% des recettes de la Confédération, les frais à court terme pour la refonte nécessaire de l’imposition des entreprises sont facilement supportables au niveau fédéral. Les recettes exceptionnelles attendues ces prochaines années dans l’imposition des entreprises suffisent déjà à compenser ces coûts. Pour les cantons et communes, les coûts directs sont estimés à 1,4 milliard de francs. Un montant qui reste également en-dessous du pour-cent des recettes. Par ailleurs, ces estimations des coûts sont statiques. Elles ne tiennent pas compte du risque de dommage (coûts pour l’État sous forme de pertes fiscales si des entreprises et fonctions sont délocalisées à plus grande échelle), ni du fait que l’effet positif du projet Réforme fiscale et AVS motive des entreprises à investir de nouveau et créer des emplois. Les estimations de coûts statiques ne donnent pas une image réaliste de l’économie.

L’Administration fédérale des contributions (AFC) a donc évalué les effets dynamiques sur les finances publiques. Dans ces évaluations, l’impact des réformes fiscales est pratiquement toujours positif (en tenant compte d’un large éventail de résultats). Le surplus de recettes est estimé à plus de 170 millions de francs à moyen terme pour la Confédération et à 1,4 milliard de francs pour tous les niveaux étatiques, assurances sociales incluses.

Ce qui saute aux yeux sont en particulier les effets positifs sur les assurances sociales: celles-ci peuvent tabler sur un surplus de recettes approchant 1 milliard de francs. En matière de politique budgétaire, il y a donc un lien évident entre les réformes du régime fiscal et les assurances sociales étatiques, notamment l’AVS.

Le projet de réforme fiscale et de financement de l’AVS est cependant aussi profitable pour les cantons et les communes. Les estimations montrent un effet financier positif de 290 millions de francs (étude de l'AFC «Estimation dynamique des conséquences du projet fiscal 17 sur les recettes fiscales», 19.3.2018). Comme l’a montré la forte croissance des recettes de l’impôt sur le bénéfice ces dernières années, les effets dynamiques d’un régime fiscal attrayant ont déjà joué par le passé. Les investissements dans la compétitivité fiscale ont été clairement profitables pour les administrations publiques en Suisse.

Figure 10

Les coûts statiques de la Réforme fiscale et AVS représentent moins de 1% des recettes de la Confédération et de celles des cantons et communes. Ils ne tiennent cependant pas compte des effets dynamiques positifs.

Figure 11

La modélisation dynamique des conséquences aboutit à une hausse des recettes pour la Confédération, les cantons et les communies ainsi que les assurances sociales. Ces dernières en tireront le plus grand profit.

En comparaison avec d’autres grands projets fédéraux, le volet fiscal du projet Réforme fiscale et AVS est à juger comme positif du point de vue tant statique que dynamique, en particulier si l’on pense à la portée de l’entreprise. Ce projet est indispensable pour que la situation financière de la Confédération reste aussi solide qu’elle l’est aujourd’hui. En cas d’échec, il faudra s’attendre à l’érosion d’un important substrat pour les recettes de la Confédération, en l’occurrence les entreprises actives à l’échelle internationale. Le niveau actuel des recettes provenant de l’impôt sur le bénéfice serait sérieusement menacé, la marge de manœuvre de la Confédération restreinte et la réalisation de nouveaux projets compliquée, voire rendue impossible. Pour maintenir le niveau des prestations, la pression en vue de nouvelles rentrées sous une autre forme augmenterait. Tout relèvement de la TVA ou nouveau financement ciblé grèverait lourdement les finances des ménages. Dès lors, il est dans l’intérêt des finances fédérales et des contribuables privés que le projet de réforme fiscale et de financement de l’AVS aboutisse dans les meilleurs délais.

Avenir incertain de l’impôt anticipé

Les recettes très élevées au titre de l’impôt anticipé en 2017 et 2018 contribuent pour beaucoup à la situation stable du budget fédéral et aux bonnes perspectives. L’évolution est toutefois à considérer avec prudence. Ainsi, l’expérience a montré que les recettes de l’impôt anticipé sont volatiles et donc entachées de grandes incertitudes. Cela est lié d’une part à la conception de l’impôt anticipé comme impôt de garantie, d’autre part à la situation actuelle en politique économique.

Le but d’un impôt de garantie n’est pas de générer des rentrées fiscales, mais d’assurer le respect des obligations fiscales. L’impôt anticipé doit veiller à ce que, entre autres, les rendements de capitaux (notamment sur les intérêts et les dividendes) soient déclarés aux impôts directs. La garantie est obtenue par la perception à la source, là où le rendement est dégagé et versé aux ayants droit (auprès de la banque pour l’intérêt des avoirs bancaires, par exemple). Si les revenus imposables et la fortune d’où ils proviennent sont déclarés aux impôts directs, il est possible de demander le remboursement de l’impôt anticipé. Cela ne vaut cependant que pour les personnes physiques ou morales domiciliées ou ayant leur siège en Suisse. Les contribuables domiciliés à l’étranger ont droit à un remboursement total ou partiel si leur État de résidence a conclu une convention en ce sens. Sinon, l’impôt anticipé est en principe perdu pour eux et engendre alors une recette fiscale définitive.

Figure 12

L'impôt anticipé est un impôt de garantie. Si les revenus imposables et les actifs liés figurent dans la déclaration fiscale, le contribuable récupère cet impôt.

Bien que le caractère fiscal de l’impôt anticipé soit limité (seulement en cas de distribution de bénéfices à l’étranger sans droit au remboursement complet), celui-ci représente désormais près de 10% du budget fédéral. Ces dernières années, l’impôt anticipé a surpris positivement et rapporté à la Confédération des recettes exceptionnelles parfois élevées. Mais le contraire est également possible, soit des recettes largement inférieures aux attentes (entre-temps élevées). Avec le plus grand poids de l’impôt anticipé, le budget fédéral est devenu plus sensible aux fluctuations d’un impôt dont les recettes sont difficilement planifiables et plus dépendantes de facteurs externes.

Depuis 2001, la tendance des recettes de l’impôt anticipé a été à la hausse et un pic a été atteint en 2017. Les raisons de cette forte hausse ne s’expliquent pas aisément dans le détail. La situation économique souvent bonne et ainsi les bénéfices élevés distribués par les entreprises (dividende) y ont largement contribué. La croissance soutenue des recettes de l’impôt sur le bénéfice durant cette période s’inscrit dans ce schéma (cf. graphique).

Figure 13

Les recettes de l'impôt anticipé évoluent comme les recettes de l'impôt sur le bénéfice (elles se fondent sur le même substrat fiscal), mais de manière plus volatile.

Outre la bonne évolution économique, les intérêts négatifs et, actuellement, la réforme fiscale américaine sont aussi considérés comme facteurs clés pour les recettes de l’impôt anticipé.

À la suite de la politique de taux bas lancée en 2015 par la Banque Nationale Suisse (BNS), les entreprises se sont acquittées précocement de leurs paiements imposables et n’ont demandé que plus tard le remboursement de l’impôt anticipé. La Confédération a en effet accordé un intérêt rémunatoire sur les crédits d’impôt jusqu’à fin 2017. Depuis 2018, le taux est certes de zéro, mais pas négatif.

Dans ce contexte, il est apparu que, depuis l’introduction des intérêts négatifs, la Confédération reçoit plus de paiements d’impôt anticipé qu’elle ne doit effectuer de remboursements. En 2017, la proportion était inférieure à 70%, c’est-à-dire que moins de 70% des paiements reçus ont été suivis d’une demande de remboursement (budget 2017). Un remboursement différé est possible jusqu’à trois ans. Il se peut donc que le nombre de demandes augmente de nouveau à l’approche du délai et qu’une partie des moyens engrangés depuis 2015 soient utilisés à compter de 2018. Si la BNS devait annuler la politique de taux bas, il faudra également s’attendre à une augmentation des remboursements.

Jusqu’ici, les entreprises américaines ne devaient déclarer les bénéfices réalisés qu’au moment de les rapatrier aux États-Unis. Vu le taux d’impôt américain très élevé (35%), des ressources conséquentes restaient à l’étranger pour repousser l’imposition. La réforme fiscale a changé cette incitation inopportune. Désormais, les bénéfices réalisés à l’étranger sont imposés au nouveau taux de 21% et un taux spécial unique, plus faible, s’applique aux bénéfices passés. Les entreprises américaines bénéficient ainsi de conditions attrayantes pour rapatrier aux États-Unis les moyens parqués à l’étranger. Comme l’indique la BNS, les sociétés financières et holdings notamment transfèrent davantage les crédits intragroupes et le capital de participation aux États-Unis. La diminution observée se chiffre en milliards (BNS 2018).

Il est probable que cette tendance se renforcera et que, dans les années à venir, de nouvelles sommes encore plus élevées quitteront la Suisse. Pour la Confédération, cela signifie d’importantes recettes de l’impôt anticipé car, en vertu de la convention de double imposition conclue entre la Suisse et les États-Unis, les bénéfices transférés par des filiales américaines à leur maison mère sont imposés au taux d’impôt à la source de 5%, sans droit au remboursement. Les dividendes payés depuis la Suisse à l’étranger représentent la première source de revenus isolée de l’impôt anticipé. En 2018 aussi, une partie des recettes de l’impôt anticipé – dont le niveau devrait rester très élevé – sera sans doute due à l’impôt à la source prélevé sur les transferts à destination des États-Unis. Pour le fisc helvétique, ces paiements ne s’inscrivent cependant pas dans la durée. Ils résultent d’un ajustement unique de la politique fiscale américaine et diminuent le substrat fiscal en Suisse.

Émettre un pronostic sur les recettes de l’impôt anticipé est difficile en général et en ce moment tout particulièrement, pour les raisons évoquées. Ce qui est clair, c’est que la hausse estimée par la Confédération jusqu’en 2022, de 500 millions de francs par année en moyenne, s’accompagne de grandes incertitudes. Un échec du projet de réforme fiscale et de financement de l’AVS les aggraverait encore. Non seulement les délocalisations d’entreprises diminueraient les recettes de l’impôt sur le bénéfice, mais la baisse consécutive des dividendes distribués depuis la Suisse à l’étranger réduirait également les rentrées fédérales par l’impôt anticipé s’appliquant à ces paiements.