# 9 / 2021
15.07.2021

La pandémie fut une épreuve de vérité pour la numérisation: enseignements et actions à entreprendre

Où la pandémie a-t-elle mis en évidence des lacunes de digitalisation?

Système de santé

Le secteur de la santé a été fortement mis sous pression par la pandémie et aurait bénéficié de processus numériques bien établis, mais la réalité a été bien différente. Au lieu d’être transmises rapidement par voie électronique, les données étaient envoyées par fax et à cause de ces retards, il était impossible de faire des choix éclairés sur la base d’informations en temps réel. Des données de qualité et actualisées auraient aussi grandement facilité la recherche sur le virus et les mesures de lutte contre la pandémie.

La collecte et la transmission des données n’ont pas fonctionné, ou mal et avec du retard, faute de soutien des technologies et processus adéquats. Le dossier électronique du patient et l’e-ID ne sont que deux exemples d’outils fondamentaux permettant un échange de données sensiblement plus efficace, mais ils ne sont toujours pas mis en œuvre.

Cela est patent en comparaison internationale. La numérisation des dossiers médicaux est à la traîne en Suisse. Ce n’est qu’un aspect parmi d’autres, mais il est crucial. Si un plus grand nombre de généralistes gèrent les dossiers médicaux par voie électronique, cela signifie aussi qu’ils sont plus nombreux à recourir de manière générale aux outils numériques. Il est alors plus facile de passer à encore d’autres outils numériques, les informations ne devant pas être saisies à de multiples reprises. Pas encore pleinement comblée, cette faille a été fortement ressentie pendant la pandémie.

Utilisation des données entravée par la saisie manuelle

Un autre problème est l’absence fréquente de collecte des données. Au début de la pandémie, par exemple, des hôpitaux ont refusé d’enregistrer chaque jour les places libres aux soins intensifs. Cette mesure facile à réaliser sur notre petit territoire devait permettre de mieux répartir les patients gravement atteints. La crise a alors montré l’importance du facteur temps lorsque les unités de soins intensifs atteignent la limite de leurs capacités. Pourtant, ces données n’ont tout d’abord pas été collectées parce qu’il aurait fallu les saisir manuellement, puis parce que, justement, leur saisie manuelle aurait pris trop de temps. C’est là que le bât le blesse. Avec une meilleure infrastructure numérique, cette collecte de données aurait pu être automatisée, donc plus de saisie manuelle et pas de travail supplémentaire pour le personnel.

Absence de fondations solides

Il faut un changement de paradigme, au niveau politique comme chez les acteurs du système de santé. Le manque de considération pour la numérisation s’est aussi manifesté à d’autres occasions durant la pandémie. Ce fut notamment le cas avec la lente introduction du pass sanitaire, des mois après le début de la campagne de vaccination, ou la communication tardive du grave problème de sécurité lié au fournisseur initial de ce certificat, par exemple. Les préparatifs de la campagne de vaccination ont débuté il y a plus d’un an. Il était donc prévisible qu’il allait falloir un tel certificat de vaccination ou une autre forme de preuve numérique. L’on aurait pu espérer un développement précoce et coopératif de la solution nécessaire, recourant aux compétences et connaissances du secteur privé ainsi qu’à l’expertise de la recherche. Ici aussi, l’introduction préalable du dossier électronique du patient aurait grandement facilité et simplifié le processus.

Le manque de fondations provoque des conflits et des problèmes d’application

La lenteur de réaction et l’absence d’infrastructures numériques s’accompagnent d’autres problèmes. Les débats très polémiques et peu objectifs sur les risques liés à la protection des données ont ainsi sapé l’utilité de l’application SwissCovid pour le traçage des contacts. Le déclenchement tardif, voire inexistant, des codes à saisir dans l’application pour avertir les contacts en cas de test positif n’a rien arrangé non plus. Convaincante sur le plan technique, cette solution n’a pas pu déployer l’effet voulu dans la pratique, parce qu’il a fallu l’intégrer à des processus largement analogiques. Le site mesvaccins.ch, lui, est un exemple inverse. Abritant des données hautement sensibles, mais insuffisamment protégées. Le problème de sécurité était si grave qu’il a entraîné la fermeture du site.

En plus de mener une transformation numérique urgente, il faut donc prendre des décisions éclairées et réfléchies pour protéger les données. Le rapport utilité-protection doit être réglé de manière à garantir la sécurité des données, mais sans limiter la finalité de l’outil numérique au point que les avantages soient inférieurs aux coûts.

Il reste aussi de la marge dans l’organisation des tests de dépistage et de la vaccination. Dans certains cantons, les nouveaux centres de vaccination n’ont ainsi pas pu accueillir les personnes déjà inscrites. Au lieu de passer par le formulaire en ligne, celles-ci devaient appeler une hotline ou écrire un courriel. Ce genre de situation doit déjà être réglé dans la phase d’élaboration, afin que les outils soient dotés de toutes les fonctions pertinentes. Nombre de ces problèmes auraient pu être évités avec de solides bases numériques dans le secteur de santé.

L’e-ID et le dossier électronique du patient permettraient de régler fondamentalement les questions de sécurité des données, puis de les appliquer à chaque application sans devoir renégocier à chaque fois. Des principes facilitant la vie des usagers, comme la minimisation des données ou le «une fois pour toutes» (once-only), pourraient être repris systématiquement et sans grandes formalités dans de nouveaux outils.

Formation

Au début de la pandémie de coronavirus, les écoles et les universités ont dû passer du jour au lendemain de l’enseignement habituel, essentiellement analogique, à un enseignement presque entièrement numérique et à domicile. Cela a posé d’énormes problèmes aux enseignants, aux élèves et à leur famille. Dans l’ensemble, cependant, la plupart des écoles ont su trouver des solutions pragmatiques et ont réalisé beaucoup de choses au vu des circonstances.

On constate toutefois des différences extrêmes d’une école à l’autre. Les directeurs d’école qui faisaient du bon travail avant la pandémie ont été globalement d’un grand soutien pour leurs collaborateurs pendant la pandémie. Cela a renforcé leur confiance en eux et la reconnaissance de leur travail. Dans d’autres établissements, les enseignants se sont trouvés seuls face à des technologies parfois nouvelles pour eux et ont dû décider seuls des modalités d’examen, par exemple.

Utilisation rare de systèmes numériques avant la pandémie

La numérisation doit être améliorée au niveau de la scolarité obligatoire et du cycle secondaire II. Certaines écoles n’utilisaient pas ou alors peu les supports numériques avant la pandémie. Des outils tels que Microsoft Teams, Zoom et autres outils similaires devraient être standard à partir du cycle secondaire I au moins et intégrés également dans les cours en présentiel. Les élèves et les enseignants doivent au minimum être capables de les utiliser sans difficulté et en connaître les fonctions.

À plus long terme, cependant, l’objectif doit être non seulement d’utiliser des outils de communication numériques, mais également de créer des concepts didactiques pour l’enseignement numérique. Les outils numériques offrent des possibilités de moderniser l’enseignement traditionnel. À l’avenir, il faut davantage recourir à des formes d’enseignement hybrides, telles que l’apprentissage mixte (blended learning, en anglais), c’est-à-dire une combinaison d’enseignement en présentiel, de travail préparatoire à domicile ou hors de la classe et d’utilisation d’outils numériques. Les élèves peuvent ainsi visionner des vidéos explicatives à leur propre rythme sur leur propre appareil. C’est beaucoup plus productif que de passer une vidéo à toute la classe. L’objectif doit être de personnaliser davantage l’enseignement afin que tous les élèves puissent davantage tirer profit des cours.

Les outils d’apprentissage en ligne sont très utiles pour des exercices de mathématiques par exemple. Chaque élève peut alors effectuer les exercices à son rythme, selon ses besoins. Dans ce domaine, les hautes écoles pédagogiques sont également appelées à promouvoir les compétences des enseignants en ce qui concerne l’utilisation des outils numériques. Il convient en outre de sensibiliser les écoles à leurs avantages et dangers.

Les différences dans le domaine éducatif, un défi particulier

L’infrastructure numérique des écoles varie fortement d’un canton et d’une commune à l’autre. Ces différences résultent, entre autres, de l’organisation du système éducatif et des réalités démographiques et géographiques. Or il est nécessaire de disposer d’une infrastructure suffisamment moderne pour que les élèves de toute la Suisse puissent acquérir à un stade précoce des compétences pour l’utilisation d’outils numériques. Il s’agit dans un premier temps d’acquérir ces compétences, puis de les mettre en pratique dans le cadre des matières enseignées. Il est également important de promouvoir les compétences informatiques des élèves, car une exposition précoce à la programmation et à d’autres savoirs numériques affine leur compréhension des médias numériques et les prépare notamment aux exigences du monde professionnel actuel. L’acquisition de ces bases doit être garantie, malgré l’hétérogénéité du paysage éducatif.

Des ajustements à long terme sont nécessaires

Il convient en outre d’intégrer des outils numériques de manière explicite et durable. Selon une nouvelle étude de Stefan Wolter, les outils numériques utilisés pendant la phase d’enseignement à distance sont, pour la plupart, à nouveau complètement ignorés. L’ordinateur fait partie intégrante de l’enseignement scolaire seulement pour la moitié environ des élèves interrogés. Un tiers d’entre eux n’ont même jamais utilisé de logiciel ou de plateforme d’apprentissage. Ces outils offrent pourtant la possibilité de vraiment personnaliser un cours.

Selon Beat Döbeli, de la Haute école pédagogique de Schwyz, un changement culturel s’impose. La formation et la formation continue des enseignants ainsi que les écoles doivent davantage s’intéresser aux médias numériques afin que le transfert fonctionne mieux en classe. Cela permettrait d’accélérer le changement culturel, car les nouveaux enseignants peuvent apporter de nouvelles idées aux équipes scolaires existantes.

Système juridique

Dans le système juridique suisse aussi, la pandémie et les restrictions imposées ont révélé un potentiel d’amélioration considérable de la numérisation de certaines procédures juridiques. La réduction des possibilités de contact physique a entravé l’application de la loi et l’exigence de la forme écrite ne pouvait plus être respectée pour certaines procédures juridiques. Comme dans le domaine de la santé, la numérisation doit être comprise et développée comme un concept global, pour éviter des charges supplémentaires lors du passage d’un média à un autre.

Le droit des contrats n’a été adapté que temporairement

En mars 2020, lorsque le télétravail est devenu obligatoire, il a fallu réaliser à distance des gestes quotidiens. En même temps, le besoin de pouvoir signer des contrats de manière numérique et juridiquement valable a augmenté. En vertu de la loi, les entreprises qui offrent la possibilité d’utiliser une signature électronique qualifiée doivent identifier de nouveaux clients à la faveur d’une rencontre personnelle. Cela complique nettement l’utilisation de la signature électronique.

Pendant la période de «situation extraordinaire», le Conseil fédéral a modifié temporairement l’ordonnance sur la signature électronique. Cela a permis l’identification de nouveaux clients par appel vidéo. La modification de l’ordonnance était toutefois limitée à six mois. Pendant cette période, il est apparu que les signatures électroniques qualifiées mises à disposition par des entreprises du secteur privé présentent un grand potentiel et font l’objet d’une demande croissante. Il serait judicieux que la Confédération poursuive sur sa lancée et vise désormais des solutions durables, au-delà de l’état d’exception lié à la pandémie.

Pendant la pandémie, le système judiciaire a atteint ses limites

En raison de la pandémie, de nombreuses audiences ont dû être annulées et reportées à compter de mars 2020. Cela a eu pour effet d’allonger des procédures et d’entraîner des retards dans des procès. Les risques et les coûts, tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales, sont immenses. Dans certains domaines, ces problèmes ont été contournés en menant des audiences en ligne. Cela n’était toutefois pas possible pour des procédures pénales, par exemple, en raison du principe d’immédiateté régissant l’appréciation des preuves et du risque d’atteinte à la présomption d’innocence. Lors de telles adaptations, il est impératif que les institutions publiques sollicitent l’expertise d’entreprises privées pour garantir une mise en œuvre compétente à brève échéance. Il peut s’agir, entre autres, de garantir la protection des données, de mettre à disposition des outils et des plateformes techniques.

La Confédération a déjà multiplié les efforts pour faire avancer la numérisation dans le domaine de la justice, avec le projet de loi sur la plateforme de communication électronique dans le domaine judiciaire (LPCJ) par exemple. Pour ce faire, elle s’appuie sur la stratégie arrêtée en 2018 pour numériser des domaines dans lesquels cela peut avoir un impact particulièrement grand. La numérisation doit toutefois être comprise comme un concept global, afin d’accroître l’efficacité et d’éviter de compliquer davantage les procédures en raison de la diversité des médias. La LPCJ permettrait de poser les bases nécessaires pour d’autres mesures de numérisation dans le système judiciaire.

Une réglementation perfectible: des solutions analogiques sont toujours privilégiées

Dans les procédures judiciaires, mais également dans des démarches quotidiennes et fréquentes, les problèmes se multiplient, L’essor du commerce en ligne par exemple présente des défis pour les entreprises en raison de bases juridiques essentiellement analogiques. C’est le cas, par exemple, des procédures de poursuite. À l’heure actuelle, celles-ci peuvent être lancées uniquement avec une signature manuscrite ou électronique qualifiée. C’est un problème de taille pour le commerce en ligne, qui se trouve ainsi désavantagé par rapport au commerce traditionnel. Au cours de la session de printemps 2021, le Conseil des États a rejeté une motion parlementaire du conseiller national Marcel Dobler qui visait à supprimer l’inégalité existante (Mo. 19.3448). L’une des raisons invoquées était le fait que la procédure analogique ne pouvait pas être transposée facilement dans l’environnement numérique et qu’un changement interviendrait forcément «trop tôt». L’acceptation de la motion aurait en effet entraîné un surcroît de travail pour le pouvoir judiciaire, mais uniquement parce qu’elle aurait créé une rupture avec les procédures largement analogiques du système judiciaire. Le Parlement a donc refusé de faire un pas dans la bonne direction au motif que la numérisation est trop peu avancée dans les domaines connexes. Les choses évoluent également dans d’autres domaines: en avril 2021, par exemple, le Département fédéral de la justice a été chargé d’examiner les procédures numériques du registre du commerce pour identifier des améliorations potentielles et soumettre des propositions. Sachant que l’examen prendra jusqu’à fin 2022, des améliorations rapides sont peu probables.

Les exemples cités montrent une fois de plus qu’une numérisation rigoureuse du système juridique est non seulement nécessaire, mais aussi attendue depuis longtemps. Il s’agit peut-être d’une entreprise ambitieuse, qui comporte certainement son lot de difficultés lors de la mise en œuvre, mais c’est la seule option pour se tourner vers l’avenir et progresser.

Échanges entre les entreprises et les autorités

La productivité exprime le rapport entre la production et le travail fourni. C’est un facteur décisif du développement économique tant pour les entreprises que pour l’ensemble d’une économie. Lorsque les entreprises et les pays accroissent leur productivité, ils augmentent la valeur créée et la prospérité. Une hausse de productivité est, pour l’essentiel, le résultat de progrès technologiques, de décisions entrepreneuriales judicieuses et de conditions réglementaires favorables. Les coûts induits par la réglementation et ceux liés aux échanges avec les autorités augmentent les charges et baissent la productivité. Cela est particulièrement problématique pour les petites entreprises, car elles ne disposent pas des mêmes capacités administratives que les grandes. Aussi sont-elles particulièrement affectées par les dépenses supplémentaires découlant des échanges avec les autorités.

Une «gouvernance intelligente» pourrait doper la productivité

La numérisation représente en principe un avantage de taille pour la productivité. Du côté des bénéfices, elle permet de créer de nouveaux produits et modèles d’affaires, et du côté des dépenses, l’automatisation et la mise en réseau réduisent les coûts. La numérisation est susceptible de faire baisser de manière significative les coûts réglementaires. Les outils de cyberadministration ou de «gouvernance intelligente» sont autant d’efforts visant à rendre les échanges avec les autorités plus fiables, plus rapides et, surtout, moins compliqués grâce à la numérisation. Malgré les progrès réalisés, un vaste potentiel reste inexploité. Cela est devenu d’autant plus manifeste depuis l’éclatement de la pandémie.

Les entreprises suisses sont en contact avec les autorités pratiquement en permanence. Il s’agit généralement de questions complexes ayant des conséquences juridiques, que ce soit dans le domaine de la fiscalité, du droit du travail, de la sécurité des produits, des prescriptions environnementales ou du droit de la construction. Avec la pandémie, des échanges sur les mesures de soutien économique et de protection sanitaire sont venus s’ajouter aux échanges habituels avec la Confédération, les cantons et les communes, ce qui a représenté une hausse soudaine du niveau de complexité pourtant déjà élevé. La qualité des interactions a été très variable.

Accès numérique aux mesures de soutien économique: un bilan mitigé

Il faut saluer le fait que, pendant la première phase de la pandémie en particulier, les aides de la Confédération ont atteint les entreprises rapidement et efficacement grâce à la plateforme numérique existante «easygov.swiss». Les crédit-relais covid-19 et les cautionnements destinés aux start-up sont intégralement passés par ce canal, ce qui a été possible notamment grâce au savoir-faire et aux infrastructures existants ainsi qu’à la bonne collaboration avec les banques. Après quelques difficultés initiales, les demandes pour des indemnités en cas de RHT ou des aides cantonales pour cas de rigueur sont également relativement faciles d’accès. Ce système est d’ailleurs utilisé et salué par les entreprises – le nombre d’entreprises enregistrées sur le site «easygov.swiss» a plus que quadruplé en 2020, passant de 8000 environ à quelque 35 000.

De prime abord, on pourrait conclure que la pandémie a renforcé les échanges numériques des entreprises avec les autorités. Ce n’est pas tout à fait juste. En effet, si le «guichet» a globalement été rendu plus attractif et plus accessible pour l’économie, les processus sous-jacents de l’administration sont souvent restés inchangés. Les données des entreprises sont parfois saisies plusieurs fois, faute d’échanges de données entre les différents niveaux étatiques et entre les organes publics. Les demandes devaient souvent être soumises sur papier et par courrier, avant d’être saisies numériquement – ce qui est coûteux, chronophage et source d’erreurs pour les entreprises comme pour l’administration. Les procédures combinant des fichiers PDF et un traitement numérique, désormais courantes, impliquent des changements de médias et ne sont pas sensiblement plus intéressantes que la correspondance papier. Le tableau devient nettement plus sombre lorsqu’on s’éloigne des mesures de soutien économique immédiates. Lorsque, en mars 2020, l’Office fédéral des routes a édicté des dérogations à l’interdiction de circuler la nuit et le dimanche, pour des marchandises nécessaires à l’approvisionnement national, les acteurs concernés pouvaient en bénéficier à condition de disposer également d’une autorisation d’un autre organe fédéral. Les demandes y relatives pouvaient certes être soumises via un formulaire en ligne, mais elles étaient traitées de manière analogique, réponse comprise, ce qui a entraîné des retards.

La tentation du guichet numérique

Il est intéressant pour l’administration, c’est bien compréhensible, de proposer un «guichet numérique», qui permette aux clients, au moins partiellement, d’interagir de manière plus pratique. Les plateformes sont aussi des projets de prestige pour la Confédération, les cantons et les communes, qui donnent une image progressiste sans qu’il faille adapter en profondeur l’organisation et les procédures. En définitive, elles ne réduisent pas de manière significative les charges liées à la réglementation – ce que la pandémie a aussi montré. Sans une véritable numérisation des procédures, les échanges avec les autorités demeurent un «frein à la productivité».

«Biais analogique» dans la réglementation

Les questions institutionnelles qui se posent en lien avec les prestations publiques concernent principalement le cadre réglementaire. La question clé est de savoir quels principes sont reflétés dans la réglementation actuelle par rapport à la numérisation. Les lois et ordonnances traitent-elles les solutions numériques et analogiques de la même manière ou le monde analogique est-il considéré comme la normalité, de sorte que le numérique est toujours un cas particulier? Sur ce point aussi, la pandémie fournit un début de réponse: en mars 2020, le Conseil fédéral a par exemple assoupli les exigences de la forme écrite dans le code des obligations (cf. point consacré au système juridique). Cet assouplissement a toutefois été décidé pour une période limitée, de sorte que l’équivalence des signatures numériques et analogiques a de nouveau disparu. C’est incompréhensible. En particulier dans les échanges avec les autorités, une équivalence permanente serait très précieuse pour faire avancer la numérisation des processus. Sur le plan technique, le numérique n’a rien à envier à l’analogique: il est désormais plus facile de falsifier une signature manuscrite que de venir à bout d’un bon cryptage.

Concurrence entre places économiques: le «smart government» doit devenir un atout pour la Suisse

Les classements internationaux sont à interpréter avec prudence, mais donnent tout de même une assez bonne idée de la position de la Suisse par rapport à d’autres pays dans différents domaines. En matière de compétitivité et de capacité d’innovation, notre pays se situe heureusement parmi les leaders mondiaux: d’une part, notre économie a été désignée comme la plus compétitive au monde pour la première fois dans le cadre du World competitiveness ranking 2021 de l’IMD. D’autre part, la Commission européenne a désigné la Suisse comme le pays le plus innovant d’Europe dans son tableau de bord européen de l’innovation. Les raisons de ce positionnement favorable sont multiples. Des échanges efficaces avec les autorités et un rôle de pionnier dans la «gouvernance intelligente» n’en font toutefois pas partie: la Suisse occupait récemment la 16e place du classement de l’indice de développement de l’e-gouvernement des Nations unies. Dans celui relatif à la facilité de faire des affaires de la Banque mondiale, elle n’occupe que la 36e place. Selon ce classement, il existe peu ou prou 80 pays dans lesquels il est plus facile de créer une entreprise. Il s’agit d’utiliser la numérisation pour rattraper ce retard.