# 11 / 2019
11.06.2019

Un marché de l’emploi très dynamique: si un emploi sur dix passe à la trappe, les emplois créés sont, eux, bien plus nombreux

Introduction

La peur du chômage en Suisse

En Suisse, de plus en plus de gens craignent pour leur emploi. C’est ce que révèlent les derniers résultats de l’enquête suisse sur la santé menée tous les cinq ans. Des résultats qui ne sont guère étonnants compte tenu des discussions controversées sur le numérique et de ses répercussions sur le marché du travail.

Figure 1

Environ 15% de toutes les personnes actives occupées ont peur, voire très peur, de perdre leur emploi. Ce chiffre est en hausse de 23% par rapport à la précédente enquête de 2012.

La peur de perdre son emploi n’est fondamentalement pas nouvelle. Selon le baromètre des préoccupations établi chaque année par Credit Suisse, le chômage arrive en tête des préoccupations de la population suisse dans deux enquêtes sur trois depuis 1976. Que les nouvelles technologies chambouleront des branches entières est un fait acquis. Des prestataires de services numériques, tels Uber et Airbnb, mettent des entreprises plus anciennes en difficulté. De nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle, les imprimantes 3D, la robotique et de nombreuses autres avancées, devraient bouleverser l’économie. Il est donc normal que les menaces sur l’emploi qui se profilent engendrent des craintes existentielles.

Ces peurs ne sont pas nouvelles. Au début du XIXe siècle déjà, des ouvriers anglais, craignant pour leur emploi, avaient exprimé leur désarroi en détruisant des machines. Plus près de nous, dans l’Oberland zurichois, un atelier de tissage mécanique avait été incendié par des tisserands à domicile en colère en 1831. Durant la grande dépression des années 1930, Keynes évoquait déjà le «chômage technologique». En dépit de toutes ces craintes, cependant, aucune révolution industrielle n’a accentué le chômage ou la pauvreté. Bien au contraire, les progrès technologiques ont augmenté la prospérité.

Aucun signe d’éviction sur le marché du travail

La peur de perdre son emploi évoquée en introduction pourrait-elle s’expliquer par la situation objective sur le marché de l’emploi en Suisse? Les progrès technologiques constants de ces dernières années ont-ils effectivement fait augmenter le chômage ou diminuer le taux d’activité? Ou s’agit-il d’une peur, infondée, de l’inconnu? Pour répondre à ces questions, nous nous intéresserons à trois indicateurs: l’emploi, le taux de chômage et le taux d’activité.

Commençons par examiner l’évolution de l’emploi au cours des 25 dernières années. Les chiffres utilisés sont en équivalents plein temps, car ils permettent de considérer le volume total de travail. Si l’on se référait au nombre d’emplois en chiffres absolus, un accroissement de la part des emplois à temps partiel ferait gonfler ce nombre, sans accroissement pour autant du volume de travail. La figure 2 montre que l’emploi a progressé sans discontinuer au cours des 25 dernières années. Entre 1993 et 2018, le nombre d’emplois en équivalents plein temps est passé de quelque 3,2 millions à près de 3,9 millions. Cela correspond à une hausse de 22%.

Figure 2

Le nombre d’emplois à lui seul ne suffit pas pour exclure le remplacement de la main-d’œuvre par la technologie. En effet, une augmentation de l’emploi pourrait aussi résulter seulement d’un accroissement de la population, alors que le chômage pourrait augmenter simultanément. C’est pourquoi le chômage doit aussi être pris en compte. Sont considérées comme chômeurs les personnes qui sont sans travail, qui recherchent un emploi et qui sont disponibles à court terme pour débuter une activité. Si le progrès technologique entraînait une destruction du travail, on devrait observer une hausse du taux de chômage. Pourtant, ici non plus, le taux de chômage ne suffit pas pour étayer un tel phénomène. En effet, si une personne abandonne sa recherche d’emploi, elle n’est plus considérée comme chômeuse. Elle sort alors de la population active occupée, ce qui entraîne une réduction du taux d’activité. Pour cette raison, nous considérerons ci-après aussi bien le taux de chômage que le taux d’activité.

La figure 3 illustre l’évolution de ces deux taux durant les 25 dernières années. On peut y voir que le taux de chômage est resté à peu près constant depuis 1993, oscillant entre 2,8% et 5,1% selon la situation économique. Il ne livre aucun indice d’une éviction de grande ampleur de la main-d’œuvre. Le taux d’activité a en revanche augmenté, passant de 80% à 84% environ dans le même temps. Cela signifie qu’une plus grande part de la population était occupée sur le marché du travail.

Figure 3

Si l’on remonte plus loin dans l’analyse jusqu’à la fin du XIXe siècle, on voit que le chômage résultant du progrès technologique n’a jamais été un phénomène de masse. Au fil du temps, non seulement le travail, mais aussi les salaires ont augmenté, pendant que la durée du travail a diminué.

Même si aucun phénomène d’éviction ne s’observe au niveau agrégé, il ne faut pas en déduire qu’aucune transformation n’ait eu lieu. Dans les années 1970 et 1980, le chômage était presque aussi répandu chez les personnes peu qualifiées que chez les personnes avec des qualifications plus élevées. Dans les décennies qui ont suivi, l’écart s’est, par contre, sensiblement creusé. Les changements technologiques n’ont pas supplanté le travail, sauf dans le cas du travail non qualifié. Tandis que la demande de main-d’œuvre peu qualifiée n’a cessé de reculer, celle en main-d’œuvre très qualifiée a augmenté. On constate que le progrès technologique à haute intensité de formation a accru la demande en connaissances techniques et, partant, en qualifications plus élevées. Une deuxième tendance confirme cette évolution: Avec la globalisation, des activités simples ne requérant aucune main-d’œuvre spécialisée se sont déplacées vers des pays à bas salaires.